L'intervention de Luc Ferry à la
soirée du 5 mars (voir billet précédent) nous a plongés dans une
perspective historique de la civilisation européenne et du couple.Quel rapport avec le bien vivre au
travail ?
L'homme n'est plus ce qu'il était, le
couple n'est plus ce qu'il était, le lien social... non plus. Et
c'est peut-être le maintien de ce lien social via la qualité des
relations humaines dans l'entreprise qui peut encore « faire
tenir » une société capitaliste emportée par son élan...
Le diagnostic était plus subtil, cultivé – et plein d'humour – que cela.
Voici néanmoins en quelques lignes que
j'ai retenu, et ce que cela m'a inspiré : une métaphore risquée
sur les qualités de communication comparées dans l'entreprise et
dans la famille...
Luc Ferry nous dit :
- La personne a de plus en plus d'autonomie, de choix. C'est à la fois anxiogène et émancipateur.
- Notre civilisation européenne serait la seule à considérer la personne comme adulte.
- Le capitalisme moderne a permis une forme d'émancipation de l'individu, notamment de la femme, en lui donnant un salaire, donc le pouvoir de choisir, en particulier son conjoint ; dans l'histoire de notre civilisation l'amour et le mariage n'avaient guère de rapport (si j'ose dire), comme a su l'illustrer abondamment Luc Ferry
- Innovation et destruction sont indissociables. Mais les innovations du XXIe siècle sont prises dans une mécanique aveugle et mondialisée, il s'agit pratiquement d'innover ou mourir, comme un gyroscope n'ayant plus assez d'énergie pour tenir son axe.
- On ne sait plus où l'on va, il n'y a plus de grand dessein partagé, sinon peut-être une préoccupation pour les générations futures. Avant l'ère industrielle, l'amour filial était probablement inexistant selon l'orateur, aujourd'hui l'enfant devient quasiment un nouveau « sens » auquel s'accrocher.
Voilà pour la toile de fond, qui
permet à Luc Ferry de sauter allègrement à sa conclusion sur le
caractère vital de la communication dans l'entreprise pour l'avenir
de notre société. À chacun de trouver un chemin entre l'analyse et
la conclusion.
Pour ma part, si je ne suis pas certain
que notre société traite ses citoyens en adultes, ce discours,
éclairé en partie par les autres échanges de la soirée (voir le
billet précédent), m'a inspiré un lien à la fois métaphorique et
pragmatique :
Une parole de qualité, prenant en
compte le collaborateur en tant que personne, adulte et responsable,
ne peut se concevoir que si l'on fait de la place, si l'on consacre
aussi du temps, dans nos dialogues, à autre chose qu'aux "indicateurs", qu'ils soient de qualité, de performance,… et même
de « bien-être au travail » !
Parler de ce qui importe rejoint la
suggestion de moins contrôler, permettre l'autonomie et les
inévitables erreurs qui l'accompagnent, pourvu qu'elles soient
l'occasion d'apprentissages.
Par analogie (périlleuse, mais
fertile), et puisque Luc Ferry nous parle d'amour pour les enfants,
imaginons deux dialogues en famille.
Scénario 1, le contrôle : « Quels
résultats as-tu à l'école ? Quelles sont tes notes ? Tu n'as
pas de problème ? », ou au mieux « Comment ça se passe ? »
Si ces questions sont légitimes, la
qualité et la sincérité de la réponse dépendront essentiellement de la façon dont
le jeune s'estime entendu ou jugé par ses parents, et de sa capacité
à « rebondir » pour parler de ce qui le concerne
vraiment. Sinon l'essentiel reste non dit.
Scénario 2, l'ouverture : «
Qu'as-tu fait d'intéressant aujourd'hui ? », « As-tu pris
plaisir à apprendre ? As-tu l'impression de développer tes talents
? », et, si l'on osait , « est-ce que tes fréquentations te tirent
vers le haut ? »
Poser ces questions nécessite d'accepter de ne pas devenir inquisiteur, admettre le frustration de ne pas "tout savoir" ni "tout comprendre" de ce que l'autre vit.
Pouvoir y répondre honnêtement demande(rait) aussi un certain entrainement, et une confiance construite au fil du temps.
Pouvoir y répondre honnêtement demande(rait) aussi un certain entrainement, et une confiance construite au fil du temps.
Ces formulations ont pour seul but
d'illustrer un état d'esprit. Vos collaborateurs ne sont pas des
adolescents, mais ces questions sont-elles plus faciles d'adulte à
adulte ? Que vous soyez manager ou « managé »,
comment permettez-vous de créer des dialogues de type 1 ou 2 ? Si des « indicateurs » sont
utiles pour analyser le résultat du travail, acceptons-nous aussi
d'interroger sa complexité, nous donnons-nous la chance de voir et
utiliser le nouveau, l'imprévu ?
A mes yeux, c'est bien la possibilité
d'un dialogue ouvert qui permet une réflexion commune sur le sens et
le contenu du travail, et donc d'éviter les extrêmes que sont la
passivité totale et la prise de risque inconsidérée. Donc de conduire l'innovation - entre autres - comme un processus réellement collectif et participatif.
Observez les échanges lors de vos
réunions et entretiens, voyez lesquels permettent des relations de
soutien et de respect mutuel qui contribuent à ce « bien vivre au
travail ».
Car, au fond : qu'est-ce que «
bien vivre » tout court ?
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