lundi 30 juin 2014

Intelligence collective : mythes et réalités

L'« Atelier de l'innovation » du 20 juin 2014 de la Fondation Rennes 1 était consacré à L'intelligence collective au service de l'innovation, thème qui ne pouvait qu'intéresser au plus haut point les lecteurs de ce blog

L'exposé introductif de Mourad Zeroukhi et les témoignages de deux entreprises n'ont évidemment pas fait le tour de la question, tant le sujet est vaste. Ils ont en tout cas réactivé mon envie d'apporter ma pierre à cet édifice, évidemment en y réintroduisant la place du management.
  • Comment générer et mobiliser l'intelligence collective pour que 1+1 fasse (au moins) 3 ?
  • Au delà du partage d'information, et de la métaphore du « réseau social », fût-il 3.0, quelles relations interpersonnelles sont nécessaires à une intelligence collective en action ?
  • Quels processus managériaux permettent de faire de cette mobilisation une partie intégrante de la culture d'entreprise ? 
Après ce parcours, je vous proposerai en conclusion / ouverture ma propre définition de l'intelligence collective, en attendant les vôtres

Commençons par deux points essentiels tirés des exposés

1+1=3 ?

Au delà de la juxtaposition des intelligences individuelles, avec laquelle 1+1=2 (au mieux !), ce sont bien les méthodes de coordination qui introduisent un effet multiplicateur, coordination explicite par des méthodes collaboratives, à commencer par la gestion de projet, ou coordination implicite par le partage de buts communs

La plus grande efficacité vient probablement d'une forme d'alignement stratégique, où chacun sait dans quelle direction doit aller « le bateau », et d'une organisation qui lui permette d'apporter sa meilleure contribution et développer ses compétences.

Car l'un des critères de réussite à long terme serait non seulement la progression vers un but partagé, mais aussi le développement personnel et professionnel de chacun.

La constitution des groupes / collectifs :
entre motivation et neutralisation.

Les intervenants ont valorisé le fait d'y introduire dans les collectifs des personnes dont le point de vue sera « à côté » des courants de pensée dominants. Mais plutôt que des « marginaux » tout court, je vous inciterais à chercher des « marginaux-sécants », terme créé par Crozier et Friedberg pour nommer les « passeurs » entre deux cultures professionnelles (systèmes d'action)

C'est essentiel pour éviter un écueil majeur cité : le risque de conformisme, de recherche d'un pseudo-consensus (la « pensée de groupe ») qui sert à éviter des conflits trop impliquants.

Une fois le groupe constitué (là encore, formellement ou non, toute équipe de travail, tout groupe de pairs est déjà potentiellement une intelligence collective), reste à le rendre puissant, par l'animation, la coordination, l'incitation.

Une fois ces « balises » posées, voici quelques réflexions que m'inspire ce sujet.

Articuler « Intelligence computationnelle »
et « Intelligence relationnelle »

Je propose de distinguer plus clairement deux formes d'intelligence collective (IC), qui peuvent être mobilisées simultanément ou successivement au sein d'un même projet :
  • La capacité « computationnelle », cognitive et informationnelle, que savent bien servir les « plates-formes » collaboratives 2.0 ou 3.0
  • la capacité « relationnelle », créative, émotionnelle, intuitive, qui nécessite d'abord des méthodes de dialogue au sein des collectifs, de rencontres in vivo, avec leurs lots de conflits, de rires et d'ignorance partagée (un billet de 2010).
Et c'est bien le management qui met ces deux dimensions en cohérence, notamment par son pouvoir de relier l'expression (des idées, des émotions) et l'action, l'expérimentation. Le lecteur aura deviné qu'on peut aller plus loin avec une approche des intelligences multiples moins binaire.

Mobiliser l'Intelligence collective au service d'un but prédéfini
ou bien lui demander d'être à l'origine du nouveau ?

Je propose de différencier :
  • l'IC « optimisée » au service d'un but prédéfini (par la direction, un chef de projet, un client...),
  • l'IC « autonome », mobilisée y compris dans la définition / révision de ses objectifs.
Le second cas est plus puissant au service de logiques de changement systémique : lorsque l'action en milieu complexe ne permet pas de prédéfinir la « solution » a priori, c'est le processus de changement lui-même qui fait émerger le résultat le plus adapté à la situation.
(L'intelligence collective d'une équipe d'ouvriers autonomes est parfaitement démontrée par l'expérience de M. Zobrist au sein de FAVI, présentée lors de la rencontre du Réseau Entreprendre Bretagne à Dinan ce 26 juin 2014)

Il ne suffit pas de concevoir un système d'incitation / récompense destiné à favoriser l'expression de l'intelligence collective. des indicateurs trop précis associés à des récompenses peuvent « brider » l'intelligence, en lui demandant une certaine conformité. Inversement, il est difficile de se contenter de moteurs « intrinsèques » aux acteurs, qui pourraient conduire à une forte dispersion d'énergie. Il est donc nécessaire d'expliciter au préalable l'intention de ses promoteurs, donc déjà en débattre.

A ce stade, je vous propose une affirmation radicale, loin d'être une tautologie :
Pour organiser de façon optimale l'intelligence collective, la faire émerger et la mettre en action, mieux vaut faire appel à... l'intelligence collective !
Autrement dit, construire la dynamique collective en faisant participer ceux qui la feront vivre.

Là encore, le management trouve toute sa légitimité, pour maintenir l'équilibre fragile entre « pilotage centralisé », direction affichée... et encouragement à l'autonomie, l'initiative...

N'oublions pas que la plupart des cas de Burn-out sont souvent dus à l'imposition de ces deux modalités, non comme points de repère pour un compromis satisfaisant pour tous, mais comme une double contrainte insoluble pesant sur les collaborateurs.

Développer des pratiques locales
pour construire une culture globale ?

J'ai implicitement abordé la question de l'IC plutôt du point de vue du fonctionnement global d'une organisation, autrement dit de la culture d'entreprise. A une échelle plus locale, on peut la mobiliser via des méthodes d'animation de groupes. C'est sans doute moins puissant / transformateur, mais c'est déjà un facteur de dynamique collective.

Mon expérience montre qu'il est possible de créer des « îlots » d'intelligence collective, de saines relations au travail, même dans une entreprise globalement « mal gérée », ou en mauvaise santé relationnelle. Il suffit parfois d'un responsable suffisamment moteur et protecteur de ses équipes...

Je vous propose donc pour finir ma définition très gestaltiste de l'intelligence collective :
Une capacité opérationnelle d'adaptation dynamique à l'environnement, ce que certains appellent agilité, avec une « intention », une « identité », une logique intrinsèque qui donne sens et forme aux façons dont cette adaptation est mise en œuvre.
Ce qui fait écho au lapsus fort intéressant de l'un des intervenants de ce vendredi 20 juin 2014, qui a dit à plusieurs reprises « intelligence économique » au lieu de « intelligence collective ». Si l'IE est en effet un processus de mobilisation de l'ensemble des collaborateurs pour mieux exploiter ce que peut exprimer l'environnement, et maîtriser les signaux que l'on envoie, alors il s'agit bien d'un axe majeur de l'IC.

Et dans votre organisation, l'IC semble-t-elle naturellement « disponible » ?
S'exprime-t-elle spontanément, ou seulement lorsqu'elle est sollicitée et encadrée ?
Et qu'en est-il des intelligences de chacun, avant de chercher à les combiner ?
Peut-on croire, d'ailleurs, en la valorisation des talents individuels sans une alchimie collective ?

J'espère que ce billet vous aura inspiré quelques initiatives entraînant vos collectifs dans une nouvelle aventure enthousiaste ! Dites nous par vos commentaires ce qui fonctionne chez vous.

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